“Les émotions peuvent se mettre en travers de votre chemin ou vous guider sur le bon chemin.” – Mavis Mazhura
Depuis plusieurs siècles déjà, la notion d’intelligence est opposée aux émotions. D’après Descartes, les émotions perturbent le raisonnement logique et il est important de garder sous contrôle permanent. Encore aujourd’hui, être “professionnel” implique se comporter de manière froide et stoïque face aux autres.
Pourtant les études du neurologue Antonio Damasio démontrent que les émotions jouent un rôle important dans notre prise de décision. Elles nous permettent d’aller chercher dans notre mémoire des expériences similaires pour valider ou invalider nos choix. Sans elles, notre raison est déboussolée, c’est ce qu’illustre le cas neurologique de Phineas Gage.
D’un autre côté, il est facile d’être submergé par nos émotions. La joie, la frustration, la déception peuvent nous jouer des tours (biais d’optimisme, aversion du risque…). Mais, lorsque nous devenons plus conscient de nos émotions, nous pouvons utiliser ces informations pour prendre des décisions plus cohérentes, guider nos pensées et vivre plus heureux. Pour cela, il est nécessaire de développer notre intelligence émotionnelle.
Le concept d’intelligence émotionnelle a été proposé par les psychologues Salovey et Mayer dans les années 90, puis popularité par Daniel Goleman. L’intelligence émotionnelle est la capacité de reconnaître nos propres émotions ainsi que celles des autres, et de pouvoir les utiliser pour mieux gérer nos relations. Cela nous permet d’ailleurs de mieux comprendre les autres, ainsi que ce qui les motive pour travailler plus efficacement.
D’après Goleman, notre intelligence émotionnelle est composée de 5 éléments dans l’ordre suivant :
La conscience de soi est la capacité de reconnaître et comprendre vos propres émotions dès qu’elles apparaissent. C’est le ciment de notre intelligence émotionnelle, puisque la maîtrise de soi, l’empathie, les compétences sociales et la motivation dépendent de notre capacité à identifier et comprendre nos émotions. Cela signifie aussi être conscient de vos forces et de vos faiblesses, de comprendre ce qui déclenche vos émotions et ainsi d’anticiper les situations qui les génèrent.
La maîtrise de soi est l’étape suivante. Après avoir reconnu vos émotions, il est important de les exprimer, d’ajuster leur intensité et de les gérer de façon appropriée selon le contexte. C’est ce qui vous permet de construire une relation positive avec les autres, et de ne pas laisser vos émotions parler à votre place. Cela vous donne la capacité de prendre du recul vis-à-vis de ce que vous vivez, et d’éviter d’agir impulsivement avec parfois des conséquences désastreuses.
La motivation et plus précisément la motivation intrinsèque est très présente chez les personnes avec une haute intelligence émotionnelle. Celles-ci ne s’intéressent pas à des récompenses externes comme la richesse, le respect ou la célébrité. Leur motivation provient des objectifs qu’elles se sont fixés, et des valeurs qui les animent. Cela leur donne l’énergie nécessaire pour avancer sur leurs tâches et de percevoir les difficultés comme des défis plutôt que des obstacles.
L’empathie est la capacité de comprendre et reconnaître les émotions de l’autre, sans les laisser vous submerger. Elle permet d’anticiper et satisfaire les besoins des autres, par une écoute active. L’empathie vous permet aussi de réfléchir à la situation de l’autre et l’aider en lui apportant les conseils appropriés.
Enfin, les compétences sociales vous permettent d’interagir avec les autres et communiquer votre point de vue. Cela passe par l’utilisation d’un langage verbal et non-verbal approprié selon le contexte. Elles sont importantes pour créer du rapport avec les autres, et construire des relations solides ainsi que gérer les conflits.
L’intelligence émotionnelle est également importante pour prendre des décisions sensées. En se comprenant soi-même et les autres, il est plus simple de considérer toutes les options, garder l’esprit ouvert et se détacher des émotions qui ne sont pas pertinentes dans la prise de décision (comme l’anxiété ou la colère). Elle évite aussi de passer par la case “burnout” en accumulant les frustrations.
Dans les relations, l’intelligence émotionnelle évite d’accumuler les émotions négatives jusqu’à l’explosion, en exprimant calmement ce que nous ressentons. C’est une capacité importante pour vivre des relations stables et épanouies, que ce soit avec des collègues, son entourage et sa moitié. La méthode Gordon est un bon exemple d’outil qui se sert de cette intelligence émotionnelle pour prévenir et résoudre les conflits.
Il existe différents échelles pour mesurer l’intelligence émotionnelle, voici un questionnaire inspiré du Work Group Emotional Intelligence Profile (WEIP-S) composé de 4 parties (Conscience de vos émotions / Gestion de vos émotions / Conscience des émotions des autres / Gestion des émotions des autres).
La première étape pour être conscient(e) de vos émotions est de les reconnaître. Quelle émotion ressentez-vous au réveil ou avant de vous coucher ? Vous pouvez aussi à la fin de la journée noter les émotions que vous avez ressenties, aussi insignifiantes soient-elles. Si vous avez du mal avec cela, notez juste votre humeur du moment, cela vous aidera à être plus conscient(e) de ce que vous ressentez au quotidien.
Bien sûr, être conscient(e) de ses émotions implique aussi de ne pas se laisser contrôler par elles. Cela veut dire ne plus agir impulsivement sous le coup de la colère ou de la frustration. Il s’agit donc de voir la situation sous un jour meilleur, et relativiser. Si vous êtes contrarié(e) parce qu’on vous a critiqué au travail, vous pouvez vous dire “Ce n’est qu’une critique, ce n’est pas la fin du monde. Je ne peux que m’améliorer.”
Prenez le temps d’écouter les manifestations physiques de vos émotions, notre corps et notre esprit communiquent constamment. Peut-être que le stress se manifeste chez vous par un estomac noué, une oppression dans la poitrine, ou une respiration rapide. La tristesse peut vous donner l’impression de vous sentir lourd(e) et rendre vos mouvements lents. La joie peut être une sensation de chaleur, ou bien un coup de fouet qui vous réénergise.
Dans les moments difficiles, vous pouvez également utiliser des exercices de respiration comme la cohérence cardiaque pour retrouver votre calme, ou simplement faire une pause. Observez vos réactions. Si vous vous disputez avec quelqu’un et que vous sentez la colère monter, éloignez-vous quelques instants pour retrouver votre calme.
Ne cherchez pas non plus à juger vos émotions, toutes ont leur place dans votre esprit, même les “négatives”. Ce sont des informations utiles qui vous connectent à ce qui se passe dans votre monde. Sans ces émotions, nous ne saurions pas ce que nous aimons ou non, ce qui est important pour nous. Parfois, vous remarquerez que les mêmes émotions reviennent dans des situations assez similaires. Rappelez-vous la manière dont vous aviez géré la situation et demandez-vous quelle émotion serait la plus appropriée.
Ecoutez activement pendant que vous conversez avec les gens. L’autre grande partie de l’intelligence émotionnelle est la capacité de prendre conscience et de comprendre les émotions des autres. Si vous êtes souvent distrait(e) lorsque vous discutez, vous n’êtes pas en train d’écouter ce que les autres disent ou ressentent.
Ne cherchez pas à anticiper ce que l’autre va dire, ni à ce que vous allez dire ensuite. Coupez vous des distractions tels que votre téléphone, votre ordinateur ou la télévision. Ce n’est qu’ainsi que vous pourrez vous concentrer sur ce que dit la personne en face de vous. Restez ouvert(e) à ce que l’autre vous dit, même si ce qui est dit ne vous plaît pas. Vous découvrirez un autre point de vue sur le sujet et peut être comprendre des éléments qui vous avaient échappé jusqu’ici.
Prenez le temps d’entendre au-delà des mots. Quel est le ton qu’emploie la personne ? Vous a-t-elle dit quelque chose de banal mais de manière colérique ? Que raconte son langage corporel ? Est-elle tendue ou agitée ?
Parler de ce que vous voyez et entendez peut aider la personne à se confier sur ce qu’elle ressent. Vous pouvez dire “Je te sens anxieux/se. Est-ce que je peux t’aider ?”
L’empathie est d’ailleurs très liée à l’écoute active. Elle vous permet de mieux percevoir ce que les autres ressentent. Imaginez la situation de l’autre à votre échelle. Quelles décisions auriez-vous pris à sa place ? Quelles réactions auriez-vous eu ? Cela vous donnera des pistes pour résoudre les éventuels problèmes que la personne vit actuellement.
Développer son intelligence sociale veut également dire être capable de se connecter aux autres. De pouvoir négocier, influencer, conseiller ou gérer les conflits. Bien entendu, tout cela ne se maîtrise pas en une journée. Il est important de travailler sur vos compétences en participant à plus de rencontres, d’événements sociaux, ce qui vous obligera à interagir avec les autres.
Si vous maîtrisez bien l’écoute active, il vous faudra aussi communiquer clairement en étant direct et précis. Cela vous aidera à développer une attitude positive et à attirer les autres vers vous. Au lieu de dire “J’aime bien X ou Y”, vous pouvez développer en expliquant ce qui vous a amené à penser du bien de X ou Y, peut-être même à comparer avec d’autres expériences similaires que vous avez eues. Il s’agit là de permettre aux autres de rebondir sur ce que vous dites, et rendre la conversation plus fluide.
De la même manière, il est essentiel d’employer dans vos conversations des questions ouvertes, qui ne peuvent être répondues par “oui” ou “non”. Cela facilitera les échanges et donnera l’occasion aux autres de vous expliquer plus en détail certaines expériences qu’ils ont vécu. Observez l’effet que vous avez sur les autres. Avez-vous tendance à rendre les gens nerveux, joyeux ou en colère ? Que se passe-t-il lorsque d’autres personnes conversent et que vous entrez dans la pièce ?
Si les gens autour de vous ont tendance à se refermer lorsque vous les approchez, votre attitude n’est probablement pas la bonne. Demandez aux personnes qui vous connaissent bien ce que vous pourriez améliorer. Être plus honnête vous aidera à mieux communiquer. Dire que “vous allez bien” avec une tête d’enterrement ne vous rend pas service. Il est important de partager avec les autres vos émotions, si vous allez bien dites-le, si vous allez mal vous pouvez le dire aussi.
Ne cherchez pas à avoir toujours raison. Il est difficile d’entendre dire que nous avons tort, malgré tout il faut apprendre à lâcher prise. Peu importe qui aura le dernier mot, demandez-vous si avoir raison à tout prix vaut la peine détruire la relation que vous avez avec cette personne. Nous ne pouvons pas être d’accord sur tout, et c’est tout à fait normal. Vous n’aimeriez pas discuter avec des perroquets.
Soyez responsable de vos actions. Être émotionnellement intelligent signifie aussi ne pas blâmer les autres ou se victimiser lorsque les choses ne se passent pas comme prévues. Il s’agit de faire la part des choses, et regarder ce que vous avez fait ou négligé de faire et vous excuser auprès des autres si besoin. Quoi qu’il arrive n’oubliez pas que vous avez toujours le choix.
L’intelligence émotionnelle est essentielle dans notre monde aujourd’hui. C’est ce qui nous permet de surmonter les situations difficiles, de vivre des relations épanouies et de prendre des meilleures décisions au quotidien. Devenir mature émotionnellement implique de reconnaître nos défauts et d’accepter la responsabilité de nos échecs, tout en gardant l’esprit ouvert avec les autres.
Lorsque notre attitude évolue, celle des autres aussi. Il devient possible de soutenir et d’être soutenu. De comprendre et d’être compris. Exprimer ses émotions est comme parler une nouvelle langue, au départ nous ne connaissons que quelques mots (émotions) puis au fil de la pratique nous apprenons à étoffer notre vocabulaire et à nous exprimer avec richesse.
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Pour aller plus loin : L’Intelligence Émotionnelle: Comment garder son calme, gérer le stress et comprendre les gens grâce à des méthodes efficaces, par Viola Di Russo.
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Excellente synthèse : absolument persuadée que l'intelligence sans émotions "n'est que ruine de l'âme" (pour reprendre ce bon vieux Rabelais)
j'avais aussi travaillé sur la même thématique (mais sous l'angle des surdoués) et j'en arrivais un peu à la même conclusion : désormais dans les théories de l'intelligence on inclut de plus en plus l'intelligence émotionnelle comme un facteur important d'intelligence générale
Ravi en tous cas que nous nous rejoignons sur ce point !
Merci pour cette synthèse intéressante ! En effet, il a longtemps été considéré qu'intelligence et émotions ne faisaient pas bon ménage. Et c'était encore vrai il y a peu dans le contexte de l'entreprise.
Mais là-aussi, les choses changent, et de plus en plus d'employeurs considèrent ainsi - à juste titre selon moi ! - qu'un bon manager doit apprendre à développer son intelligence émotionnelle.