“Le langage grave le sillon par lequel vos pensées s’écoulent.” – Noam Chomsky
En tant qu’êtres humains nous utilisons tous le langage pour partager nos expériences. Cela dit, les phrases que nous prononçons ne reflètent pas parfaitement la réalité vécue. Nous simplifions, exagérons ou déformons les faits et ne gardons en mémoire qu’une version tronquée de nos expériences.
Le linguiste Noam Chomsky nous explique dans sa théorie de la grammaire générative et transformationnelle, que le langage est composé d’une structure profonde et une structure dite de surface. La structure de surface reflète les mots que nous utilisons pour communiquer avec les autres, tandis que la structure profonde est liée au sens que nous donnons aux mots et notre représentation du monde.
Par exemple, la phrase “Le garçon a vu un homme avec un télescope.” (structure de surface) peut signifier “Un garçon qui a vu un homme utilisant un télescope” (structure profonde), ou bien “Le garçon a vu un homme à l’aide de son télescope” (autre structure profonde). La phrase est donc ambiguë et son interprétation peut porter à confusion.
Dans la vie de tous les jours, nous employons d’innombrables phrases ambigües comme “Tu vois ce que je veux dire”, ou “C’est toujours la même chose”, “Je ne sais plus où j’ai mis ce truc”. Imaginez un instant qu’un inconnu viendrait à votre rencontre, prononcerait ces phrases, puis s’en irait. Vous auriez certainement du mal à comprendre ce qu’il a voulu dire par là.
Malheureusement, c’est aussi ce qui se passe au quotidien. Nous croyons à tort que les autres ont compris le fond de notre pensée, pour nous rendre compte plus tard que ce n’était pas le cas.
Au programme de cet article :
Ce problème de communication se produit car en passant de la structure profonde (pensées) à la structure de surface (langage parlé), l’information est modifiée en chemin. Elle passe par les filtres suivants : l’omission, la généralisation et la distorsion.
Ces trois processus dans notre cerveau produisent un certain nombre de malentendus, lorsque nous cherchons à communiquer avec les autres. Fort heureusement, avec un peu d’entraînement et d’attention, nous pouvons apprendre à préciser notre pensée (notre modèle du monde) et celle des autres. Pour cela nous allons utiliser un outil utilisé en coaching : le méta-modèle conçu par Bandler et Grinder pour la PNL, à partir des thèses de Chomsky et Korzybski.
Le but du méta-modèle est de nous aider à prendre de la hauteur par rapport à nos processus d’omission, généralisation et distorsion. Une fois que nous devenons conscients de ces trois filtres, alors nous pouvons rectifier notre vision du monde par des questions adaptées et communiquer sans déformer le sens de ce qui a été dit.
Lorsque nous décrivons une situation, une personne ou un fait, nous omettons souvent un certain nombre d’informations, en pensant que l’autre sera tout de même capable d’interpréter correctement le sens de nos phrases.
Bien sûr, si nous devions tout expliquer en détail, cela deviendrait vite fastidieux et les conversations seraient interminables. Nous prenons donc l’habitude d’abréger en laissant les autres interpréter le sens de nos mots. Cependant, d’après Chomsky nous omettons souvent des informations très importantes, cela génère alors de grandes différences entre ce que nous disons et ce que nous pensons.
Il existe ainsi différents types d’omissions (plusieurs peuvent être présentes en même temps) :
C’est l’omission la plus répandue, il manque ici des détails sur l’objet du verbe. Par exemple :
Il manque ici la 2e partie de la comparaison, souvent cette omission cache une mauvaise estime de soi ou un préjugé. Ce sont des phrases avec un comparatif “meilleur que, plus que, moins que, pire que…” mais sans le sujet comparé.
Exemple :
Ici, nous ne savons pas de qui ou de quoi nous parlons, ces phrases commencent souvent par “On, ça, c’est, cela, les autres…”. Cette omission est au moins aussi fréquente que l’omission simple.
Exemple :
Ce type d’omission créé un doute sur le sens de la phrase, l’action n’est pas claire car le verbe utilisé peut être interprété de plusieurs façons. C’est le cas de notre exemple au début d’article, “Le garçon a vu un homme avec un télescope”. Ici le mot “voir” n’est pas spécifié, cela peut vouloir dire “voir avec ses yeux” ou “voir à travers le télescope”.
Voici d’autres exemples :
Pour corriger ces 4 types d’omission, nous pouvons utiliser l’une des questions suivantes “Quoi, Où, Quand, Qui, Comment, Par qui/quoi ?“. Bien sûr, ces questions sont à utiliser avec parcimonie. Il ne sert à rien de faire préciser constamment votre interlocuteur, sans quoi cela ressemblera plus à interrogatoire qu’à une conversation.
Il est extrêmement rare de passer une journée sans faire ce type de généralisation. Ce sont des phrases qui contiennent les mots “Tout/Tous, toujours, jamais, rien, personne, les gens, tout le monde…” ou bien les sous-entendent.
Exemples :
Pour corriger cela, il est important soit d’exagérer la généralisation pour montrer son absurdité, ou bien de trouver un contre-exemple. Ainsi, pour “Il ne m’écoute jamais” il est possible de répondre “Jamais de ta vie il ne t’a écouté ?” (Exagération) ou “Te rappelles-tu d’une fois où il t’a écouté ?” (Contre-exemple).
Il existe deux types d’opérateurs modaux dans les généralisations, les opérateurs de nécessité et d'(im)possibilité. Tous deux nous donnent l’impression que notre choix est inexistant, ce qui est souvent faux.
Les opérateurs de nécessité sont “Je dois, je suis obligé de, il faut que, il est nécessaire, c’est obligatoire”. Ils font référence à une “force extérieure” à nous qui nous pousserait à agir ainsi.
Par exemple :
Les opérateurs de possibilité exprimés négativement, “C’est impossible, ce n’est pas possible, je ne peux pas, je ne suis pas en mesure de…”. C’est notre impuissance qui est soulignée ici, plutôt qu’une pression extérieure.
Par exemple :
Lorsque nous remettons en question les opérateurs modaux, nous découvrons souvent le véritable obstacle qui nous empêche d’agir comme nous le voulons. Cet obstacle est rarement extérieur à nous, car il s’agit de croyances que nous nous sommes imposées. Une petite introspection vous sera alors très utile pour comprendre ce qui se cache derrière ce fameux “je dois / je ne peux pas”.
C’est une forme de généralisation souvent employée pour mettre un problème à distance de soi, en étant passif face à la situation. Pour cela, un verbe est transformé en un nom ou un concept intangible. Pour faire la différence entre une nominalisation et l’utilisation classique d’un nom, il vous suffit d’imaginer la situation se dérouler dans une pièce. Si vous n’y arrivez pas, c’est une nominalisation.
Par exemple :
La plupart du temps, pour défiger une nominalisation, il suffit de remplacer le nom par le verbe correspondant. Si ce n’est pas possible, il faudra alors préciser l’objet ou la personne qui se cache derrière la nominalisation.
Il s’agit là de règles, jugements, proverbes, sans que l’on puisse savoir de qui ou quand cette idée est venue. Les croyances sont souvent formulées via les origines perdues. Cela permet de donner l’impression que la croyance est une évidence.
Par exemple :
Pour désamorcer les origines perdues, il est possible de questionner la pertinence de ces affirmations. Lorsque nous remarquons que ces idées n’ont pas vraiment d’origine, il devient alors facile de les remettre en cause.
Cette distorsion créé un lien entre une cause et un effet qui n’ont rien à voir entre eux. Elles prennent la forme de “X cause Y” ou “X entraîne Y”. Par exemple, “Il m’énerve”. Ici, ce “Il” aurait le pouvoir de créer de l’énervement, ce qui est impossible.
C’est bien “moi” qui fabrique l’énervement. Bien que l’on puisse dire que “il” adopte un comportement qui “m’énerve”, au final je suis responsable de ma colère. C’est “moi” qui décide de m’énerver en réaction à “Il”.
En interrogeant le lien entre X (la cause) et Y (l’effet), l’erreur de logique apparaît clairement. En se demandant comment X a provoqué Y, il est possible de casser ce lien et reprendre la responsabilité de nos réactions, émotions et pensées.
Ici, deux affirmations complètement différentes se retrouvent liées dans une phrase, comme si elles voulaient dire la même chose. La phrase est construite de façon “X prouve Y” ou “X = Y”, à ne pas confondre avec les Causes-Effets (X entraîne Y).
Par exemple :
Cette distorsion lorsqu’elle n’est pas remise en question peut provoquer d’incessantes disputes et mésententes. Il est donc important de les remettre en question, soit en demandant à la personne d’expliquer le lien entre ces deux affirmations (et prendre conscience de son erreur), ou bien en apportant des contre-exemples.
Autre exemple : “Il ne m’a pas appelé aujourd’hui, il m’a oublié.” (N’a-t-il pas déjà pensé à toi autrement qu’en t’appelant ?)
Très souvent nous prêtons à tort aux autres un sentiment ou un état d’esprit. Nous attribuons une intention à un comportement ou l’absence d’un comportement chez les autres, parfois même insignifiants comme un haussement de sourcil ou un regard fuyant. En somme, nous pensons être dans leur tête, ce qui devient alors la source de pas mal de conflits.
Par exemple :
Lorsque l’on commence à remettre en question les lectures pensées, celles-ci se transforment souvent en équivalence complexe ou en cause-effet. Il sera donc important de les rectifier ensuite avec les méthodes que nous avons vues plus haut.
Dans toutes nos phrases nous utilisons des présuppositions qui permettent aux autres de comprendre le contexte, sans que nous ayons à le préciser. Le problème est que certaines présuppositions peuvent être limitantes ou manipulatrices.
Voici un exemple d’une présupposition anodine : “Quand le chien aboiera encore, je le laisserai sortir dans le jardin”. A partir de cette phrase, nous pouvons en déduire un certain nombre d’informations :
Prenons maintenant une présupposition plus problématique : “Si mon patron savait comme je suis tétanisé quand il crie, il ne se comporterait pas comme ça”.
La présupposition ici combine deux distorsions : la lecture de pensée et la cause-effet. Cela aboutit alors à une grave erreur de logique. Non seulement le patron aurait le pouvoir de tétaniser la personne, mais en plus il le ferait inconsciemment.
D’autres présuppositions sont plus subtiles et manipulatoires, notamment par des choix illusoires qui aboutissent au même résultat. Par exemple, le fameux “Vous payez en espèces ou par carte bleue ?” (Présupposition = vous payez dans tous les cas).
À présent que nous avons vu les omissions, généralisations et distorsions, nous allons voir un exemple qui combine le tout.
“Mon mari rentre toujours tard de son travail, il n’y a plus d’espoir pour notre couple”.
Vous remarquerez qu’à aucun moment dans l’article nous avons posé la question “Pourquoi ?”. La raison est simple, le mot “Pourquoi” place les autres sur la défensive puisqu’ils devront vous donner une explication sur le sujet et donc être jugé. Ainsi, plutôt de demander “Pourquoi es-tu en colère ?”, il est plus intéressant de commencer par “Qu’est-ce qui te met en colère ?”
Le méta-modèle est un outil très intéressant non seulement pour clarifier le propos des autres, mais aussi pour remettre en question des limites ou des obstacles que nous nous sommes imposés. Je vous propose de vous entraîner à repérer dans vos conversations et celles des autres, les omissions, généralisations et distorsions, vous en trouverez d’ailleurs un certain nombre dans cet article lui-même.
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Voir les commentaires
Bonjour Adam,
Merci pour ce texte inspirant :-)
Lorsque vous évoquez la généralisation, vous notez: "2. Les opérateurs modaux
Il existe deux types d’opérateurs modaux dans les omissions, les opérateurs de nécessité et d'(im)possibilité.", évoquant de nouveau les omissions alors que nous abordons à ce moment-là la généralisation. Cette référence aux omissions est-elle volontaire?
Merci pour votre réponse à l'occasion et très belle fin de journée à vous.
Virginie
Bonjour Virginie,
Non en effet, il s'agit bien de "généralisations" et je viens de corriger cette erreur. Merci pour l'attention que vous avez porté à l'article !
Bien à vous,
Adam.
Reprendre la responsabilité de nos réactions, émotions et pensées ? Cela pose un nouveau problème : être responsable, c’est être en capacité d’apporter une réponse.
Si nous apportons une réponse construite, élaborée, raisonnée à nos émotions, nous sommes en analyse. Or, l’analyse est aussi aliénante que l’émotion brute elle-même.
Je suggère d’être dans l’acceptation, le lâcher prise plutôt que dans la recherche de responsabilité de soi ou des autres.
Bonjour,
Non il ne s'agit pas d'être dans la rationalisation des émotions, mais plutôt d'exprimer correctement ce que nous ressentons sans passer par des phrases toutes faites qui renvoient aux autres une vision bancale de notre réalité. C'est également accepter que nos émotions proviennent de nous et qu'elles ne sont pas induites par les autres.
Par exemple, dire "tu m'énerves" alors que l'énervement est généré par nous-même est une forme de tromperie vis-à-vis de ce que nous ressentons (nous disons aux autres que la colère n'est pas nôtre, mais créée par l'autre).
L'acceptation et le lâcher prise viennent ensuite, lorsque nous acceptons déjà que nos émotions sont de notre ressort, plutôt que des aléas créées par la vie.
Adam.
Merci beaucoup pour ces recherches et cette transmission. C'est très utile et très clair.